Rapport sur l'épidémie de grippe qui sévit dans le département de la Charente-Inférieure

Présenté à la séance du 30 septembre 1918

Département de la Charente-Inférieure

 Inspection de l'assistance et de l'hygiène publiques

 La Rochelle, le 26 septembre 1918

 

La grippe dont un certain nombre de cas bénins ont été observés dès le printemps en Charente-Inférieure, a pris un caractère nettement épidémique pendant les trois derniers mois. Comme dans toutes les épidémies, la grippe sévit sous trois formes : gastro-intestinale, thoracique, nerveuse.

 

Au début, ce sont des troubles gastro-intestinaux qui semblaient prédominer. Dans un certain nombre de cas, les symptômes abdominaux ont été assez intenses pour simuler la fièvre typhoïde. Sur certains points, on a observé des morts rapides et dans le public, on prononçait déjà le mot de choléra.

 

En août et en septembre, les accidents pulmonaires sont devenus de plus en plus fréquents et la mortalité par bronchites, bronches, pneumonie a considérablement augmenté. Il s'est produit tout d'abord des foyers de famille, des foyers locaux d'où la maladie s'est disséminée avec une grande rapidité.

 

La Rochelle

À La Rochelle, dès les premiers jours de juillet, ainsi qu'il résulte des renseignements fournis par le bureau d'hygiène, des cas assez nombreux de diarrhée saisonnière se déclarèrent en assez grand nombre et sans fièvre. Puis, peu à peu, les cas de fièvre apparurent avec diarrhée plus intense que dans les premiers cas. Parfois, il survint des vomissements. Les accidents duraient de 2 à 8 jours sans autre phénomène qu'une température assez élevée. Dans le public, on attribuait généralement ces indispositions à l'absorption de l'eau de boisson trop chargée en chlorure de sodium et à la mauvaise qualité du pain. Quelques jours de repos et un régime approprié et tout passait ; mais, bientôt, en même temps que les phénomènes précédents, des menaces du côté pulmonaire se dessinaient se traduisant à l'auscultation par des râles légers dans un des lobes pulmonaires et une diminution assez marquée du murmure vésiculaire ; ces derniers incidents paraissaient résister quelques jours à toute médication active, mais qui finissaient par s'atténuer et disparaître. La toux cessait également peu à peu.

 

M. le docteur Guillemin, directeur du bureau municipal d'hygiène, estime à quelques centaines ces cas de grippe gastro-intestinale qui ont pu évoluer dans ce sens en deux mois.

 

Mais, à la fin d'août et en septembre, les manifestations pulmonaires se sont considérablement aggravées. Elles ont pris un caractère infectieux et l'on a observé, tant à l'hôpital St Louis que dans la clientèle de ville, des cas de mort par pneumonie et broncho pneumonie grippales. Pour le moment, la grippe sévit avec une certaine intensité dans la population civile et dans la garnison. Toutefois, tout en pouvant être considéré comme sérieux, l'état sanitaire de la ville de La Rochelle ne présente rien d'alarmant. Il en est de même dans le reste de l'arrondissement.

 

Rochefort, les militaires

À Rochefort, de nombreux cas de grippe infectieux se sont produits vers le 15 août. L'épidémie semble avoir été importée de la caserne des marins du 4e dépôt. 26 jeunes gens de la classe 1920 qui étaient venus s'engager dans les équipages de la Flotte ont été frappés simultanément. 13 d'entre eux ont succombé à l'hôpital civil sur lequel ils avaient été dirigés.

 

À l'hôpital maritime, d'après les renseignements fournis par M. le sous-préfet de Rochefort, sur 200 malades, marins ou militaires, on a observé 40 décès. L'épidémie ne semble pas jusqu'à ce jour avoir atteint sérieusement la population civile. Toutefois, les deux médecins sanitaires nous ont signalé une recrudescence de la mortalité par suite de grippe et de diarrhée infantile. En août dernier, la mortalité à Rochefort a été de beaucoup supérieure à la normale. Pendant le mois d'août 1918, les décès ont atteint le chiffre de 63, tandis que nous n'en relevons que 18 au cours du mois d'août 1917. Sur les 63 décès, 15 sont dus à la grippe et 14 à la diarrhée infantile. À l'heure actuelle, l'épidémie est en décroissance très marquée.

 

Des renseignements que nous avons recueillis, il résulte que toutes les mesures de prophylaxie et de désinfection prescrites en pareil cas, on été rigoureusement appliquées par le service de santé de la marine. D'autre part, l'administration municipale a sagement agi en invitant le corps médical à faire la déclaration de toute maladie présentant un caractère suspect, afin que toutes les mesures prophylactiques puissent être rapidement prises par le bureau d'hygiène et le service de désinfection.

 

Royan, l'été et les vacanciers

Au début du mois d'août, la grippe a également fait son apparition à Royan. C'est parmi les agents des postes que l'épidémie s'est propagée avec le plus d'intensité. Le 6 août, un des facteurs qui se trouvait quelque peu surmené, tombe malade ; il guérit, mais sa femme contaminée en lui donnant des soins succombe aux suites d'une pneumonie. Un autre facteur, âgé de 17 ans, est atteint le 7 août et meurt peu de jours après. À partir des 8 et 9 août, les défections de plus en plus nombreuses se produisent dans le personnel jusqu'à l'absence complète des facteurs titulaires et de presque tous les auxiliaires en est résulté une brusque et profonde désorganisation dans le service. Le bureau des postes de Royan comprend trois gardiens de bureau qui sont chargés, entre autres attributions, d'ouvrir les sacs postaux à leur arrivée à la gare. C'est le 17 août seulement que l'un de ces gardiens a été atteint, c'est-à-dire onze jours après la première manifestation de la grippe dans le personnel. Le détail nous paraît important à noter parce qu'il est de nature à infirmer la version de l'administration des postes qui attribuait la contamination de ses agents à la manipulation d'un sac de correspondance provenant d'un bateau américain. Or, l'enquête sur place à laquelle a procédé M. le Dr Caylen, délégué départemental, il résulte qu'aucun de ceux, Français ou Américains, qui ont été en contact avec le sac incriminé, n'a été atteint de grippe. Du reste, il n'a pas été possible d'obtenir des précisions sur le nom du bateau, l'état sanitaire de l'équipage ni sur sa provenance. Les premiers cas de cas de grippe ont été observés à Royan dès la fin de juillet. C'est le 31 juillet que le Dr Chabber, médecin sanitaire a vu les premiers malades : une jeune fille et sa mère. Le 4 août, il donne des soins à une femme de chambre qui succombe en peu de jours. Le 6 août, date à laquelle la grippe a frappé le personnel des postes, presque tous les pilotes du port de Royan tombent malades. Quatre d'entre eux débarqués d'un bateau espagnol sont sérieusement atteints et l'un d'eux qui était alcoolique est enlevé en 3 jours. Dès ce moment, les cas se multiplient et les médecins en observent dans tous les coins de la ville.

 

Il paraît difficile d'établir avec exactitude l'étiologie de l'épidémie de grippe qui a sévi à Royan. Depuis plusieurs mois, la grippe a été signalée en plusieurs points du territoire français. Elle a régné aussi longtemps sur le front. Rien d'étonnant qu'avec l'affluence et le va-et-vient des nombreux étrangers qui y vont séjourner pendant l'été, Royan n'ait pas été épargnée. Comme partout ailleurs, la grippe à dû s'y transmettre de poumon à poumon. Royan comme toutes les autres villes contaminées a payé son tribut de grippe qui a été importée en France après avoir exercé de sérieux ravages en Espagne et en Suisse.

 

Du fait de cette expérience, la mortalité de Royan pendant le mois d'août a été considérablement plus élevée qu'en 1917. Pour le mois d'août 1918, nous avons relevé 48 décès contre 17 survenus en août 1917. Sur ces 48 décès, 11 sont dus à des maladies ordinaires et 37 sont consécutifs à des affections de nature grippale. Il convient d'ajouter toutefois que si la grippe a joué un rôle prépondérant dans l'étiologie de la mortalité de Royan, le nombre des étrangers qui sont venus en villégiature a été cette année bien plus élevé que l'année dernière.

 

Malgré la simultanéité et le nombre élevé des cas de grippe infectieuse, le poste de désinfection de Royan a pu faire face à tous les besoins. Pourvu de tous les désinfectants nécessaires, le chef de poste a été en mesure d'opérer dans le courant du mois d'août 25 désinfections, bien qu'aucune déclaration officielle n'ait été faite par les médecins qui n'y sont pas tenus par la loi. Le 16 et le 17 août, pendant la nuit pour ne pas entraver le service, tous les bureaux de l'hôtel des postes ont été désinfectés aux vapeurs de formol ; tous les sacs postaux ont été passés successivement à l'étuve à vapeur du poste de désinfection.  Des renseignements recueillis, il résulte qu'en ce moment, l'épidémie est en pleine décroissance et que la mortalité est descendue à un taux tout à fait normal.

 

Dans les arrondissements de Saintes, Saint-Jean d'Angély et Jonzac, nos médecins sanitaires nous signalent partout des cas de grippe, généralement de caractère bénin.

 

Saintes

À Saintes, pendant tout le mois d'août, on a constaté de nombreux cas de grippe à forme gastro-intestinale d'une durée de 8 jours en moyenne et sans gravité. Par contre, la diphtérie a sévi de façon assez grave entraînant quelques décès parmi les enfants. En ce moment, la mortalité ne dépasse pas les proportions normales.

 

Saint-Jean d'Angély

À Saint-Jean d'Angély, depuis le début de septembre, la grippe a pris un caractère infectieux. Le Dr Emerit a constaté plusieurs cas mortels par néphrite aiguë compliquant les lésions pulmonaires. Il nous est signalé, en outre, une recrudescence des cas de diphtérie avec des cas de scarlatine.

 

Jonzac

À Jonzac, la grippe s'est manifestée avec une certaine gravité en mai dernier. À cette époque, il y eut dans la même maison trois cas simultanés dont deux suivis de mort rapide. Un des trois cas fut celui d'un permissionnaire qui venait d'être éprouvé par les gaz asphyxiants. Il fut atteint de la grippe en arrivant. Sa jeune femme déjà un peu souffrante prit froid en le soignant et mourut en 48 heures avec les symptômes de pneumonie hémorragique suraiguë (diagnostique du Dr Sicard). Sa locataire âgée de 28 ans qui la soigna et la veilla fut prise de semblable manière et mourut en 24 heures. La population fut très alarmée. La maison fut soigneusement désinfectée. Quelques cas de grippe  banale continuèrent à se produire à la ville et à la campagne. Pendant ces derniers mois, l'épidémie s'est étendue et l'on a constaté des cas plus ou moins graves dans toutes les parties de l'arrondissement.

 

Quant à la dysenterie, elle ne nous a été signalée cette année en aucun point du département. Cette affection qui avait été observée en septembre et en octobre 1917 dans huit communes de l'arrondissement de Saint-Jean d'Angély, n'y a pas reparu.

 

 En résumé

 La grippe règne à l'état épidémique dans toutes les parties du département sauf quelques foyers où l'infection a provoqué un certain nombre de décès, la maladie présente jusqu'à présent un caractère plutôt bénin. On peut conclure que l'état sanitaire du département tout en méritant de retenir sérieusement notre attention, ne présente rien de particulièrement inquiétant.